Au fond d'un sac opaque, des lanières de tripes.
Premier jour de pèche. Il m'a expliqué la canne, la ligne, l'hameçon, le courant, le lancer, le silence indispensable, l'attente et l'attention. J'ai humé l'air un peu humide, senti la berge molle sous mes bottes, adressé un regard ému à la couronne de feuillage au-dessus de ma tête et puis est arrivée cette injonction inoubliable : "va me chercher quelques vers dans la boîte en fer"
Splouch, splouch, splouch, je suis tombé dans une marée de mots insensés qui défilent sous mes doigts. Vainement je tente d'organiser une stratégie verbale pour me démettre de la responsabilité de décrire une sensation qui ressemble exactement à ce dont je suis en train de parler. Un ramassis de merde gluant qui n'a de sens que celui du toucher. Toucher ensuite à la plume qui s'englue dans l'imperceptible folie d'ajouter toujours plus de mots, entortillés à la description d'un vécu, que par l'impression d'un texte embourbé de contre-sens, j'espère vous donnera l'aperçu de part une traduction orale gerbant de l'encre humide, ce qui m'a tout l'air d'être impossible.
C'est la pleine lune au bord de l'étang. Nous nous déshabillons et rentrons dans l'eau malgré sa fraîcheur. Des algues nous enserrent les chevilles et le mollets, enlacés à jamais.
Un léger souffle froid entoure mes doigts, j'ose enfoncer ma main, l'air s'adoucit, s'humidifie. Le contact avec la chose, enfin. Les choses plutôt, comme autant de frites ramollies, oubliées hors du congélateur depuis deux jours. A la limite du visqueux, du ver de terre géant passé au découpe-patate en forme de frite.
L'arrière-boutique de mon grand-père charcutier était fort sombre et surtout interdite aux enfants. C'est pour cela que nous y descendîmes une fois de nuit au cours de nos vacances. Le souvenir de nos avant-bras plongés dans les terrines de rillettes dégoulinant de graisse, triturant des saucisses coupées, fouillant le navet salé, pataugeant dans la tripaille encore fumante nous est resté gravé à jamais. C'est pour cela peut-être que je suis devenu végétarien!
Il faut le manger? Impossible! Le lécher? Pas plus! J'ai demandé à mes doigts ce qu'ils en pensent.
Le pouce : "C'est insaisissable ce truc-là, même avec mon copain index."
L'index : "Si c'était pas si froid, je pourrais croire que c'est ce que je trouve dans un nez, en plus gros bien sûr."
Le majeur : "J'aurais juste l'honneur de lui faire un doigt."
L'annulaire : "Bague à part, vous voulez que je donne un avis là-dessus?"
Donc mes dogts..
"Ben.. et moi?
_Toi, l'auriculaire, t'as même pas touché!
_Juste un mot : beurk!"
Comment dire, c'est...
Ca me fait penser à...
Beurk, je plains les aveugles!
Sous ma langue, ses lèvres éclosent. L'orchidée de chair, turgescente, se tend lentement vers un horizon éruptif. Son suc me coule entre les lèvres, inépuisable, insatiable.
Une graine de coriandre illuminant soudain mon palais me ramène à mon assiette.
Quelque chose entre la tripe coupée en lamelles et la couenne de jambon, en tout cas Clitoris (la chatte qui se frotte à nos jambes) semble apprécier. Ni dégoûtant, ni ragoûtant, des lanières qui n'attendent que l'imagination d'un maître-queux pour leur donner un nom. Et si ça n'était que de gros élastiques enduits de ricotta?
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